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Les sceaux et l'héraldique au Moyen Age

Introduction

L’héraldique,  étude des blasons, est un phénomène qui apparaît au Moyen Age et qui se pratique encore mais plus rarement de nos jours. Les armoiries font leur apparition dès l’Antiquité mais s’affichent en tant que telles à partir des XI° et XII° siècles. Elles figurent d’abord sur les écus et les bannières, comme signes de décoration (on peut le voir sur la Tapisserie de Bayeux) puis avec la complexification de l’équipement militaire, comme signes de reconnaissance. L’héraldique est importante dans son aspect archéologique car c’est une science qui s’est développée complètement en dehors de l’influence de l’Eglise et a gardé une grande importance pendant toue cette ère. Elle est donc, par cet aspect, révélatrice de la société de cette époque.

Les armoiries étant un domaine d’étude très vaste, nous nous concentrerons essentiellement sur la sigillographie qui est la science des sceaux et fait partie des sciences auxiliaires traditionnelles de l’histoire de l’art. Ses actions sont de conserver, classe et étudier les sceaux. En effet étudier les armoiries médiévales par le biais des sceaux présente de nombreux avantages mais aussi des inconvénients comme nous le verrons plus tard. Le sceau est l’empreinte, le signe, la marque, sur une matière plastique à partir d’une matrice pour manifester l’autorité de l’acte auquel il est apposé et sa propriété. Alors que son emploi est antérieur à l’écriture, et qu’il est utilisé comme signature, le sceau tente à disparaître à l’époque mérovingienne pour réapparaître en s’associant aux armoiries.

A travers cet exposé nous pouvons nous demander : pourquoi l’étude des sceaux est-elle primordiale dans la découverte des armoiries au Moyen Age ?

Tout d’abord, après avoir vu la typologie de cette empreinte, parce que les sceaux sont les reflets de la société médiévale. Et aussi pour tout les renseignements et données qu’elle apporte aux chercheurs.

 

 

 

Typologie des sceaux

Avant de commencer à décrire le sceau, il serait plus juste d’en donner d’abord une définition. Voici celle d’Auguste Coulon, conservateur du Service des sceaux aux Archives nationales à Paris : « Le sceau est l’empreinte sur une matière plastique, le plus souvent la cire, d’images ou de caractères gravés  sur un corps dur (métal ou pierre) plus spécialement désigné sous le nom de matrice, et généralement employée comme signe personnel d’autorité et de propriété. »

La matrice

La matrice est le support métallique gravé en creux avec lequel on appose l’empreinte dans la cire. Cependant la matrice est rarement faite dans le fer mais fondue le plus souvent dans du bronze, du cuivre ou du laiton. On trouve aussi d’autres matériaux comme l’or pour des raisons de prestige, l’étain et le plomb pour les possesseurs les plus modestes malgré leur peu de résistance, ou encore l’ivoire, des pierres précieuses dites alors intailles. On sait que dès la dynastie capétienne, les sceaux royaux étaient faits dans un alliage d’argent qui rendait la matrice extrêmement solide.Matrices en argent du sceau et du contre-sceau de l’abbaye de Saint-Denis

Alors que depuis l’Antiquité, la forme la plus répandue de matrice était l’anneau ou la bague sigillaire, elle est remplacée vers le XI° siècle par la matrice plate, dite « en fer à repasser » : à une seule face, sa « semelle » est gravée et elle est suspendue par un anneau. Dans de nombreux cas, cet anneau relie par une chaîne la matrice à celle du contre-sceau. L’autre forme très usitée est définie par les sigillographes comme  « moule à gaufre », à double empreinte. Une matrice est en général un objet très coûteux et engage la responsabilité juridique de son possesseur : ainsi son travail de fabrication est long et délicat car le sceau doit transmettre des informations claires qui feront garantie de la validité de l’acte auquel il est apposé. Ainsi il n’est pas rare que le fils reprenne la matrice de son père défunt, en modifiant seulement la devise. Au Moyen Age, on trouve sur le marché local des matrices au type banalisé gravé d’avance : la devise sert alors à distinguer les sceaux entre eux. Les chercheurs ont cru, à cause de cette coutume, pouvoir retrouver des ascendances entre plusieurs individus par la ressemblance des figures du sceau alors qu’il ne s’agissait là que de l‘effet du goût d’un tailleur qui manquait d’imagination. Cependant l’hérédité du sceau ne se pratique pas dans les hautes couches de la société : la matrice est brisée (c’est le cas des rois) ou enterrée avec son possesseur (pour les reines) d’où le nombre réduit de matrices conservées à ce jour : 15.000 pour 3 millions d’empreintes retrouvées. « On estime que moins de 1% des matrices en usage dans l’Occident des X°-XV° siècles nous sont parvenues.» La matrice a donc une forte valeur symbolique dans la société médiévale.
Alors que depuis l’Antiquité, la forme la plus répandue de matrice était l’anneau ou la bague sigillaire, elle est remplacée vers le XI° siècle par la matrice plate, dite « en fer à repasser » : à une seule face, sa « semelle » est gravée et elle est suspendue par un anneau. Dans de nombreux cas, cet anneau relie par une chaîne la matrice à celle du contre-sceau. L’autre forme très usitée est définie par les sigillographes comme  « moule à gaufre », à double empreinte. Une matrice est en général un objet très coûteux et engage la responsabilité juridique de son possesseur : ainsi son travail de fabrication est long et délicat car le sceau doit transmettre des informations claires qui feront garantie de la validité de l’acte auquel il est apposé. Ainsi il n’est pas rare que le fils reprenne la matrice de son père défunt, en modifiant seulement la devise. Au Moyen Age, on trouve sur le marché local des matrices au type banalisé gravé d’avance : la devise sert alors à distinguer les sceaux entre eux. Les chercheurs ont cru, à cause de cette coutume, pouvoir retrouver des ascendances entre plusieurs individus par la ressemblance des figures du sceau alors qu’il ne s’agissait là que de l‘effet du goût d’un tailleur qui manquait d’imagination. Cependant l’hérédité du sceau ne se pratique pas dans les hautes couches de la société : la matrice est brisée (c’est le cas des rois) ou enterrée avec son possesseur (pour les reines) d’où le nombre réduit de matrices conservées à ce jour : 15.000 pour 3 millions d’empreintes retrouvées. « On estime que moins de 1% des matrices en usage dans l’Occident des X°-XV° siècles nous sont parvenues.» La matrice a donc une forte valeur symbolique dans la société médiévale.

 

La fonction du sceau

Le sceau contient un caractère personnel et juridique. Il est fixé sur un document écrit afin de l’authentifier.

On peut voir une évolution de son importance à travers le temps et surtout aux X° et XI° siècles :

- sous les Mérovingiens, il n’a qu’une valeur de reconnaissance

- sous les Carolingiens, une valeur diplomatique secondaire par rapport aux signatures propres.

- aux X° et XI° siècles, à cause du recul de l’alphabétisation, le sceau est une marque de validation et équivaut à une signature.

Symbole de la personnalité juridique de son détenteur, il assure une triple fonction :

  • Il clôt, « scelle » et garantit le secret ou l’intégrité d’un contenu
  • Il affirme, indique la propriété de l’objet scellé
  • La plus importante de ses fonctions est la troisième : il valide et rend authentique l’acte écrit

Il faut préciser qu’il reste un droit régalien jusqu’au X° siècle. Puis « il est usurpé par les prélats allemands, les grands feudataires laïcs de la France du Nord. »

L’apogée de l’utilisation du sceau se situe au XII° siècle : le droit de sceller s’étend à toutes les couches sociales dans l’Europe occidentale et il est même considéré comme suspect de ne pas le faire. Cette apogée dure deux siècles et décroit à partir du XV° siècle, remplacée par la signature ; de plus le sceau notarial est une garantie suffisante pour continuer l’emploi le sceau personnel. Ensuite seuls les souverains, les prélats et quelques personnes morales

l’utilisent pour les actes personnels. Le sceau perd sa valeur juridique si importante au Moyen Age.

 

Le sceau-empreinte

Pendant l’Antiquité, l’argile est utilisée pour sceller mais elle est cassante et friable. Ainsi au Moyen Age on trouve essentiellement des empreintes en plomb ou en cire, c’est-à-dire un mélange de cire d’abeille et de diverses substances pour durcir ou colorer davantage comme la résine ou encore la craie. Cependant au début, la cire reste de couleur naturelle et n’est colorée que par les hauts dignitaires : pour certaines chancelleries et au temps des Capétiens, le code était le suivant : sceau vert pour les actes royaux (chartes) à effet perpétuel, jaune pour les actes plus ordinaires et à effet limité, rouge pour le petit sceau secret (ou « cachet) à partir de   Louis VI. On sait que ce code est en vigueur sous Philippe-Auguste. Cependant on trouve aussi d’autres couleurs : le blanc par mélange de la cire avec du plâtre est la première coloration de l’empreinte. Alors que le rouge et le vert s’obtiennent avec de l’oxyde de plomb et de cuivre, le brun avec de la poix, on trouve même des sceaux noirs. Mais ces autres colorations n’ont pas de réelles significations. La cire est à bon marché jusqu’au XIII° siècle : comme elle devient plus chère, le diamètre et l’épaisseur de l’empreinte diminuent. De plus, pour protéger le sceau qui reste toujours très fragile, on appliquait un vernis ou on le protégeait dans une boîte de bois de buis ou de métal. Au XV° siècle, la cire est même renforcée par du papier soudé.Second sceau de la Jeanne de Navarre, reine de France (1285-1305)

Les autres matières de l’empreinte sont le métal pour les bulles (les empereurs byzantins utilisaient de l’or pour sceller leurs chrysobulles) ; les papes scellaient avec du plomb.

On trouve presque une vingtaine de variantes pour la forme du sceau mais deux prédominent : la forme ronde (ou ovale) qui est utilisée dès l’Antiquité à cause des anneaux sigillaires. La forme dite en navette c’est-à-dire en forme d’amande comme la mandorle du Christ, apparaît au X° et est souvent utilisée pour les sceaux ecclésiastiques, des prélats, des femmes et des communautés religieuses, car elle se prête aux représentations des personnages en pied. On trouve aussi des sceaux en forme d’écu, de losange, carré… La forme du sceau dépend plus des modes et habitudes régionales que de contraintes juridiques ou sociales. Ce concept s’applique aussi en général pour toutes les règles typologiques du sceau.

Sa taille n’est proportionnelle à la qualité du possesseur qu’à la fin du Moyen Age et varie entre 12 et 120 millimètres de diamètre. On a pu établir une constante de la taille : les grands seigneurs utilisaient parfois des sceaux plus grands que ceux des rois et ceux-ci ne cherchaient pas plus à montrer leur prestige social par la grandeur mais plutôt par le motif lui-même.

Alors que la bulle est toujours pendante, le sceau peut être apposé de différentes façons :Sceau de Louis IV d’Outremer rivé à un acte de 953

  • Le sceau plaqué : plus ancien, il se pratique couramment jusqu’aux XI° et XII° siècles. C’est le plus simple, le plus résistant et le moins encombrant. On pratique une entaille cruciforme au bas du parchemin, sur un bord replié, les boulettes de cire sont appliquées de chaque côté puis l’impression est frappée avec la matrice. La brisure reste facile. Au XI° siècle, l’entaille est substituée à des bandelettes se croisant en étoiles.
  • Le sceau appendu dit sur queue pendante : à partir du XI° siècle, il est d’abord monté « sur simple queue de parchemin », c’est-à-dire qu’il pend à une languette découpée dans le parchemin qui passe entre les deux boulettes de cire ; puis « sur double queue de parchemin » en pratiquant deux courtes incisions dans le repli du parchemin. Il y a autant de bandelettes découpées que de sigillants.
  • A partir de Louis VII, apparaissent les sceaux pendants : une fente est pratiquée en bas du parchemin dans laquelle on passe des lacs (cordelettes) de chanvre tordu ou tressé, ou bien des cordelières ou des rubans de soie : on dit alors que le sceau est appendu « sur flot de soie ». Les deux extrémités des lacs pendants soudées par le sceau.

 

Les autres composantes du sceau sont la représentation de son champ qui est répartie en « types » et sa légende qui est l’inscription qui entoure le champ. Mais il serait plus intéressant d’étudier le contenu iconographique du point de vue de l’historien de l’art en découvrant ce qu’apporte l’étude du sceau à la découverte de la société médiévale.

Acte de Thibaud IV

Les sceaux, reflets de la société médiévale

La traduction d'un phénomène nouveau

Il faut savoir avant tout que dans le domaine des règles sigillaires, on parle d’« habitudes mais pas de système normatif ». Les sceaux n’obéissent qu’aux influences de s modes et coutumes régionales comme on a vu précédemment.

Une notion qu’il ne faut pas oublier, c’est que le système héraldique qui se recoupe avec les sceaux à partir de la fin du Haut Moyen Age, s’est établi sans l’influence de l’Eglise contrairement à beaucoup d’autres domaines iconographiques: en effet le langage héraldique est celui de la langue vulgaire et le texte de la légende substitue rapidement le latin au français. Ce système repose sur les valeurs et les sensibilités de la chevalerie et de la noblesse.Premier sceau de majesté du roi Philippe Auguste (1180-1223)

L'héraldique a contribué à l'apparition d'un phénomène nouveau: la notion d'individu. On comprend mieux cette quête d'identité en étudiant les types du sceau qui nous dévoilent « l'univers mental et la civilisation matérielle de l'Occident médiéval ». On peut diviser les types en deux catégories: les personnes physiques et les personnes morales.

Le premier type qui s'impose est le type équestre: en costume de guerre, sur un cheval de bataille, le cavalier brandit une arme et tient un écu. C'est sur cet écu qu'on voit apparaître les premières armoiries: d'abord très simples et parfois fictives, elles s'étendent après sur la housse du cheval, sur la bannière, etc. Il s'agit d'un grand seigneur, d'un prince ou d'un noble adoubé. Mais le type équestre ne se limite pas seulement à celui dit « de guerre »: le type de chasse rassemble les seigneurs plus modestes, les femmes qui, en amazone, tiennent un faucon au poing.

Le type même des souverains est le type de majesté: il apparaît au XI° siècle, imitant au début les effigies des monnaies romaines. Le sceau est rond, le roi est représenté de face, trônant et portant les signes du pouvoir. Son image d'abord stylisée se veut de plus en plus réaliste au fil du temps: le roi cherche à se singulariser et à augmenter son prestige par les symboles que contient le champ. En effet l’image a une valeur uniquement symbolique et non réaliste comme à la fin du Moyen Age.

Il faut voir ici l'utilité du contre-sceau sur un plan juridique et iconographique: le contre-sceau est l'empreinte appliquée sur le revers du sceau à partir du XIII° siècle pour éviter toute fraude ou erreur en ajoutant une autre figuration: d'abord, le sigillant appuie son doigt dans la cire encore molle et y laisse ainsi son empreinte digitale, signification qui a encore gardé aujourd'hui toute sa signification: se singulariser et rendre sa marque (ici, son sceau) unique et individuel. Ensuite l'empreinte digitale est remplacée par une empreinte de matrice, souvent de type armorial. On voit ainsi de plus en plus des sceaux de personnes physiques et morales présenter sur leur contre-sceau leurs armoiries qui ne figuraient pas ou partiellement sur le champ de l'endroit. Les lacs ou la queue de parchemin passant entre le sceau et son contre-sceau, détacher l'un ou l'autre relève du défi car l'empreinte se casserait à coup sûr: le contre-sceau empêche donc le réemploi du sceau à des fins frauduleuses et apporte donc une garantie supplémentaires à la valeur juridique du sceau.Sceau et contre-scean d'Antoine de Lorraine

Le type armorial a contribué énormément à l'évolution et la stigmatisation de l'héraldique: on y voit figurés les armes dans un écu ou pas. À partir des XII° et XIII° siècles, l'écu est penché et apparaissent le cimier, les supports et autres ornements décoratifs. On peut donc suivre par la datation des sceaux une évolution assez précise de l’héraldique.

Il est utilisé par toutes les couches sociales, pour les personnes aussi bien physiques que morales. La moitié des sceaux conservés appartiennent à ce type.

L’héraldique devient individuelle et utilitaire à cette recherche de singularisation alors qu’il était aussi un phénomène de groupe : on peut le voir par les sceaux de type hagiographique : il concerne le sceau des communautés pour la plupart ecclésiastiques. Est représenté le saint patron ou bien l’évêque du diocèse, parfois celui-ci agenouillé aux pieds du saint. Il concerne aussi les prélats, dignitaires, un chapitre, parfois une ville. Parfois, une scène est représentée avec soin et précisée par des symboles comme les attributs spécifiques à une fonction. Ce type n’est pas le seul représentant le mieux les personnes morales.

Les types naval et monumental donnent une représentation symbolique ou raccourcie des personnes morales, le plus souvent pour les villes et les ports.

Cependant le type qui traduit le mieux ce phénomène de groupe est le type des métiers et des corporations : le type de fantaisie. Il regroupe tous les sceaux qui n’entrent pas dans les catégories précédentes. Y sont représentés des objets, des animaux, des plantes. L’homme au Moyen Age s’identifie à un groupe : sa ville, sa corporation, sa famille. « L’héraldique à ses débuts apparaît comme le produit de la fusion en un seul système – à la fois social et technique - de différents usages emblématiques antérieurs : tantôt individuels, tantôt familiaux, tantôt féodaux. »

 

Le sceau, preuve d'une société qui s'oppose aux préjugés

A partir du XII° siècle, on est certain que le sceau s’est répandu dans toutes les classes de la société. La grande erreur concernant les armoiries est de penser que son usage était réservé aux nobles et aux membres des hautes « classes sociales ». Or, il n’y a jamais eu de loi énoncée sur cette restriction, sachant qu’il n’existe aucune règle écrite de cette époque sur l’héraldique. Les principes qu’on retrouve appliqués sur les écus, les enluminures et les armoriaux sont dus au travail des hérauts d’armes, au début officiers domestiques au service d’un grand, assurant divers fonctions comme porter des messages, déclarer la guerre ou organiser des festivités. Mais ils se spécialisent à l’apparition des tournois dans la maîtrise de l’héraldique, servant de commentateurs aux spectateurs et décrivant les armoiries, ce qui contribue à l’élaboration de la langue héraldique, et précisons-le, en langue vulgaire. On peut dire alors que ce sont eux qui ont établi certaines règles qui restent évidentes comme la règle des émaux qui interdisent d’associer l’argent et l’or.

Sceau de Marguerite de Briançon, 1253Même s’il serait déplacer pour un simple roturier d’utiliser le type de majesté ou équestre pour son sceau, il ne lui est pas interdit de le composer à sa façon. Ainsi, l’homme du Moyen Age va saisir l’opportunité de se différencier même au sein de son groupe : les « armes parlantes » en sont la preuve. Souvent du type fantaisie, le sceau fait référence au nom du sigillant, par association d’idée, jeu de mot, rébus, en utilisant des symboles, des images simples. Mais on ne peut pas faire de tous les types de fantaisie des armes parlantes : certaines figures comme l’hermine ou la fleur de lys gardent une signification très vague.

Les armoiries et par extension, le sceau, sont utilisées par les plus pauvres comme les grands, par les femmes qui se représentent en pied ou à cheval. On ne peut alors penser plus longtemps que les libertés et droits juridiques sont limités aux hommes aisés. Les gens plus aisés cherchent même à affirmer leur identité en dehors de tout groupe, même familial : il n’est pas rare de voir alors sur le sceau deux blasons différents, l’un de sa famille et l’autre de sa terre. D’autres ont les moyens de se faire deux matrices pour différencier ces deux armoiries.

La légende est aussi motrice de singularisation pour l’homme médiéval. Il s'agit de l’inscription qui entoure le champ du sceau: sa première fonction est de définir le possesseur du sceau. Tout le monde a le droit de sceller à condition de ne pas usurper l’empreinte d’un autre. On commence à lire l’inscription à partir du haut; la langue utilisée est le latin jusqu'au XII° siècle: on y poinçonnait la devise, des invocations pieuses ou des proverbes, inscrits sur la face du contre-sceau s'il y a; mais il devient plus simple d'écrire en langue vulgaire le nom et sa titulature ou sa profession, précédés d'un « S' », abrégé de SIGILLUM. Il y a un réel désir de se distinguer des autres, de sortir du groupe. On peut voir là un réel parallélisme entre le droit aux armes et le droit au nom. C’est ici la concrétisation du désir de l’homme médiéval de sortir de l’encellulement des classes et catégories sociales qui demeurent du X° au XIII° siècle avec l’affirmation de l’autorité des petits et grands seigneurs féodaux.

L'apport de la sigillographie

La sigillographie ou « sphragistique » est la discipline qui conserve, classe et étudie les sceaux depuis le début du XIX° siècle en France. Elle s’est chargée de recenser tous les sceaux gardés dans les archives régionales et a établi deux catalogues : l’un recensant les sceaux conservés dans un endroit déterminé ; l’autre, préférable aux chercheurs, recensant les sceaux d’une région, d’un groupe social ou d’un corps reconstitué.

Les sceaux royaux et ceux récupérés de divers collections privées se trouvent à présent en grande partie au Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris (120000 empreintes) et aux Archives nationales où l’on s’est chargé de faire des moulages (pas moins de 140 mille) pour les manipuler sans risque de dégradation.

 

Une source à usages très diverses

« L’étude des sceaux médiévaux prend place au carrefour de diverses sciences annexes de l’histoire ». Elle est idéale pour une approche sérielle dans de nombreux domaines : entre autre l’iconographie, l’architecture grâce au type monumental ou bien l’étude de l’évolution de l’équipement militaire par le type équestre. Le type hagiographique, l’étude des mentalités religieuses et les variations de l’iconographie des saints. Ou bien l’étude des stylisations : plus hiératique de l’âge roman, à l’inverse du réalisme et du relief de l’âge gothique. Pour l’épigraphie, dans l’évolution des légendes.

En effet, le sceau est un cas unique parmi les documents iconographiques : il est daté et localisé avec précision grâce à l’acte auquel il est appendu. De plus on a recensé près de trois millions de sceaux dans l’Europe occidentale : son étude permet d’établir de bonnes méthodes statistiques. Mais le sceau étant avant tout un instrument, la fin première n’a pas été de soigner l’image du champ. Cependant les mentalités au Moyen Age ont permis le développement de cette iconographie. Contrairement aux armoriaux, il concerne toutes les catégories sociales, ce qui fait de lui une source particulièrement intéressante car peu commune.

Voici une liste non exhaustive des domaines concernés dans la sigillographie: histoire politique et administrative, histoire du droit et des institutions, héraldique, diplomatique, histoire sociale et généalogie, histoire de l’art, du folklore et de la culture, philologie, anthroponymie, épigraphie, archéologie, histoire de la vie quotidienne et des attitudes religieuses et mentales.

Acte de Mauclerc, 1230C’est une source fiable : ses informations sont rigoureusement exactes par la présence de son acte. Alors qu’autrefois le sceau faisait foi de la véracité de l’acte, aujourd’hui c’est l’acte qui garantit le sceau. En fait, ils certifient mutuellement l’authenticité de l’autre. La date de l’acte permet d’établir une fourchette chronologique entre la date de réalisation de la matrice et celle du scellement qui ne dépasse pas la décennie. Le sceau fournit une datation ad quem facilitée par la durée courte des matrices (on en utilisait plusieurs dans sa vie).

Les nouveaux moyens technologiques ont permis aussi une approche encore plus facile et plus précise : dès le Second Empire, on avait moulé les sceaux pour pouvoir les manipuler sans risque ; la photographie, le micro filmage, des bases de données informatiques…

 

Les limites de la sigillographie

La sigillographie est une science trop méconnue et inexploitée selon les sigillographes. Alors qu’elle a attiré l’intérêt de nombreux chercheurs dans ses débuts, elle est tombée en désuétude depuis. De plus elle n’a pas pu se doter de règles spécifiques et rigoureuses et subsiste donc souvent par les autres domaines cités dans la liste ci-dessus. Pour pallier à ce problème et démontrer son rôle incontestable dans les recherches historiographiques, un colloque international et interdisciplinaire a été organisé à Cologne en 1982.

Les grands problèmes que connaît encore – mais de moins en moins – la sigillographie sont la conservation des empreintes et leur recensement.

En effet, on ne peut détacher le sceau de son acte au risque de le casser et parce qu’un sceau sans son acte n’a aucune valeur : les collectionneurs  et les archivistes des XVIII° et XIX° siècles ont souvent commis cette erreur en pensant que les séparer les protéger l’un l’autre ou parce que l’acte ne les intéressait pas. Le problème de rangement subsiste donc. Les méthodes encore actuelles pour ranger, classer et conserver les sceaux restent inadaptées aux besoins de survie des empreintes.

Le deuxième problème est le recensement: les sigillographes ne peuvent émettre des théories entièrement fondées car tous les sceaux n'ont pas été encore recensés. Il reste des régions non prospectées; les deux Guerres Mondiales ont interrompu les travaux et les ont un peu laissés en suspens. L’étude des sceaux est donc loin d'être achevée.

Alors que le sceau est un atout sur le plan de la datation, il présente rapidement des faiblesses du côté des armoiries: son matériau est par nature assez fragile (la cire est la plus utilisée) et très friable: il suffit que le sceau soit assez ancien et dans un environnement peu disposé à sa conservation pour que l'empreinte s'effrite et que les détails de la moulure s’érodent ou qu'un morceau détaché empêche une lecture complète de l'image. Et même si le nombre de sceaux retrouvé contraste avec celui des armoriaux (de 50 à 80  mille), ils sont nombreux  à nous être arrivés sous forme de fragments.Sceau de Théobald I° de Navarre

Le sceau est monochrome: or « s’il y a des armoiries sans image, il n’y en a pas sans couleur. » Il est donc pénalisé par rapport aux documents iconographiques tels que les armoriaux qui ont été soigneusement peints. De plus la couleur était un des éléments principaux qui permettait la reconnaissance des soldats sur le champ de bataille et dans les tournois.

Le diamètre du sceau n'excédant jamais 15cm, le dessin reste exigu et donc pas toujours lisible surtout pour les contre-sceaux: il est le plus souvent schématisé et épuré le plus possible pour une meilleur compréhension. Il faut donc se méfier des raccourcis qu'on serait tenté de prendre. C'est le cas notamment pour les abréviations, les erreurs courantes de la légende.

 

Conclusion

Le sceau a été l'élément déterminant dans la formation des premières armoiries et son principal agent de diffusion du XII° au XV° siècle dans l’espace social et géographique.

C'est une source fiable aux informations incontestables et à la datation précise grâce à l'acte auquel il est appendu.

Le sceau est un phénomène de mode sans cadre juridique malgré sa fonction importante qui a fait de lui un objet de grande valeur ; il a marqué le Moyen Age par son rôle de « carte de visite » et de signature où l’on peut voir surgir un désir de plus en plus fort de sortir de la masse et de se singulariser. Les armoiries possédant ce caractère de distinction, les deux ont coopéré à cette tâche.

Cependant, le sceau reste un objet fragile et à la conservation difficile. Sans règles établies, on ne peut prendre en compte son iconographie sans la nuancer.

Alors qu'il a été vecteur dans l'évolution de la représentation héraldique comme l'expansion  des cimiers, il a mal survécu à l'apparition de nouveaux modes d’expression de l’identité comme les badges, le seing et surtout la signature qui avait perdu son rôle à cause de l’analphabétisme relatif de l’Europe.

De plus à cause de ses limites vues ci-dessus, on ne peut étudier le phénomène héraldique sans le confronter aux armoriaux.

La sigillographie est donc une discipline méconnue et inexploitée mais qui n’a pas fini de montrer ses ressources. Elle reste cependant indispensable pour la recherche dans de nombreux autres domaines.

Sceau de l’Université de Paris (1292)

Pour aller plus loin

Ce travail a été fait dans le cadre de ma licence d'histoire de l'art. Ce n'est qu'une approche non exhaustive d'une étudiante et absolument pas d'un professionnel. 

Si vous avez besoin de plus de renseignements, je vous invite à consulter le site officiel du Centre de sillographie et d'Héraldique et de contacter M. Clément Blanc qui en est le directeur et qui m'avait accordé un entretien en amont de l'élaboration de cet exposé.

Bibliographie

Archives nationales, les collections sigillographiques, fiche de recherche 51, en ligne https://web.archive.org/web/20061124075656/http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/chan/pdf/caran/51-sceaux.pdf, consulté le 29/11/2020

CHEDEVILLE (A.), MERDRIGNAC (B.), Les sciences annexes en histoire du Moyen Age, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1998.

BLANC-RIEHL (C.) (Chargé d’études documentaires au service des sceaux du Centre historique des Archives nationales), « Les prémices de la sigillographie française (1830-1880) » (Article), , Bulletin de liaison des sociétés savantes, n° 12, mars (2007), p 6 et 7. En ligne http://cths.fr/_files/an/pdf/bulletin12.pdf, consulté le 08/02/2012

GENICOT (L.F.), Introduction aux sciences auxiliaires traditionnelles de l’histoire de l’art: diplomatique héraldique, épigraphie, sigillographie, chronologie, paléographie. Louvain-la-Neuve, Collège Érasme, 1984.

JOUBERT (P.), Nouveau guide de l’héraldique, Rennes, Ouest-France, 1984.

PASTOUREAU (M.),

  • « Le sceau médiéval » dans PASTOUREAU (Michel), Figures et couleurs. Études sur la symbolique et la sensibilité médiévales, Paris, Éditions Le Léopard d’Or, 1986.
  • L’art de l’héraldique au Moyen Age, éditions du Seuil, Paris, 2009.
  •  Les armoiries, Turnhout, éd. Brepols, 1998.
  • Traité d’héraldique, Paris, Picard, 1979 (Collection « Grands Manuels Picard »).

VEYRIN-FORRER (Th.), Précis d’héraldique, Paris, Larousse, 1951, réédité en 2004.

Voir illustrations sur le site Sigillographie

Date de dernière mise à jour : 08/10/2022

Commentaires

  • DELGRANGE

    1 DELGRANGE Le 14/06/2017

    Bonjour,

    Je viens de découvrir votre site et en particulier les pages "Héraldique" et "sigillographie".
    Permettez-moi, à propos du nombre de matrices conservées d'apporter une petite précision, quinze mille matrices de sceaux "conservées", c'est à peu-près le nombre répertorié uniquement en France (Musées, bibliothèques publiques, archives, collections privées), c'est sans doute plus car les collectionneurs privés ne communiquent pas facilement à propos des objets qu'ils détiennent. Les ensembles détenus par les musées etc...) n'ont pas encore fait l'objet d'un inventaire suffisamment précis.

    Cordialement,

    D. Delgrange

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