Edgar Degas, La Famille Bellelli

Edgar Degas (1834-1917)

Portrait de Famille ou La famille Bellelli

achevé en 1867,

huile sur toile, 200 x 250 cm,

musée d'Orsay, Paris.

 

Ce tableau est une œuvre de jeunesse, dans les 10 premières années de sa carrière. Il veut se faire connaître en peignant de grandes toiles pour attirer le spectateur. Il fait l’école classique, entre à l’Ecole des Beaux-arts. Sa carrière tourne autour de trois thèmes : le théâtre, les courses, la danse. Donc le thème de ce tableau n’en fait pas parti : il se distingue, c’est une œuvre à part.

Après la mort du peintre, le tableau fut acquis par le Louvre, avec l'aide de René Degas.

Il s'agit de sa première grande oeuvre personnelle et sa plus grande toile, très ambitieuse. C'est un travail d'atelier, construit.

Endommagée, elle a été restaurée à la fin de sa carrière.

 

Edgar degas, La Famille Bellelli, 1867

Description formelle

Les personnages

Il s'agit de la gamille du peintre. Sa tante, née Laure de Gas; son mari, le baron Gennero Bellelli (mort en 1864); leurs deux filles, Giovanna et Giulia.

Remarquons que Laure est tout en noir, porte une boucle d'oreille, elle se tient droite, et rigide. Sa main a été très travaillée. Avec les deux filles, elle forme un groupe séparé du baron qu'on voit presque de dos. Les regards divergent, absents.

On retrouve l'écho des formes: le triangle des femmes, des assiettes et de la pendule, des tabliers. Il y a la mise en place d'un processus de distanciation: ici il se produit dans une immobilité contrainte.

 

Le décor

Le mobilier, le choix des éléments décoratifs révèlent un décor bourgeois qui s'inscrit dans le genre du portrait de groupe. La lumière du jour vient de droite et éclaire uniformément les personnages sauf le baron qui est presqu'à contre-jour.

Le reflet du miroir tient son importance puisqu'il dévoile une partie invisible de la pièce: un autre miroir, une porte. A gauche, on devine le cadre d'une porte donnant sur une autre pièce ou un couloir, largement éclairé comme nous le montrent les reflets sur un vase posé sur un guéridon.

 

Portrait et contenu narratif

       Quelques mots sur le genre du portrait: son sujet est toujours l’être humain. Degas voue une grande admiration pour Ingres dont on retrouve dans le tableau l’inspiration dans la composition des groupes, les portraits génois de Van Dyck, les Ménines de Velasquez. Ses séjours en Italie ont influencé son art.

Ce tableau se présente comme un portrait de groupe et pourtant il est porteur d'une histoire, d'une narration.

Degas a passé beaucoup de temps à composer cette oeuvre, y revenant des années après la dernière modification. C'est un travail qui lui a beaucoup coûté, il a même failli y renoncer à plusieurs reprises.

 

Histoire de la famille Bellelli

Le contexte : en 1857, Degas a peint le portrait de son grand-père Hilaire de Gas. Pendant la Révolution, il s’est réfugié à Naples. Sa fille, Laure, a épousé le baron sicilien Bellelli, banquier qui s’est exilé à Florence parce que condamné à mort après l’échec de la révolution de 1848. On apprend cette histoire douloureuse par sa correspondance avec son père et sa tante.

Edgar Degas, Portrait d'Hilaire de Gas, son grand-père

Allers-retours en Italie

De la même façon, on sait que sa tante s’ennuyait et lui a demandé de venir la rejoindre. Cependant en 1858, quand il arrive, elle n’est pas là car au chevet de son père Hilaire. Edgar commence alors des dessins préparatoires : il ne voulait peindre que les deux filles à l'origine. Pendant ce séjour, le baron ne lui adresse pas la parole, ce qui n'améliore pas la tension. A la demande de son père, il revient à Paris où il continue les esquisses puis revient en 1860 à Florence. Il a beaucoup de difficultés à construire ce tableau et pense même abandonner. Cependant il arrive au bout en 1867.

 

Une atmosphère singulière

Il n’a pas du tout apprécié l’accueil de son oncle et le représente donc ainsi : on ne le voit qu'à peine. De plus, on apprend que le couple est en désaccord, d’où la séparation des groupes. On retrouve cette tension dans la pose de Giulia : une position de déséquilibre, mains sur les hanches (qui peut exprimer l'interrogation), le regard tourné vers son père. Elle est l’élément charnière entre les deux entités. Les petites ne savent pas mais ressentent la tension conjugale. Edgar Degas a voulu exprimer dans ce portrait de groupe toute l'ambiance lourde et particulière qu'il a ressenti.

La mère en noir : son deuil est dû à plusieurs causes. La mort de son fils Giovanni ou plutôt le deuil de son père, représenté dans le cadre au niveau de sa tête. Aucun signe d'affection, de bonheur familial ne transparaît dans l'oeuvre, cependant Laure pose une main sur l'épaule de sa fille tandis que les doigts de son autre main touchent plastiquement le bras de la deuxième fillette: elle est là, mère présente et protectrice.

Le journal : le baron est enfermé dans son univers (causes politiques ?).

 Ainsi quelques petits indices parsemés qui, pris dans leur ensemble, nous font mieux comprendre ce qui se passe.

 

Une oeuvre faite pour lui-même

Degas, Giulia Bellelli, étudeOn émet l’hypothèse que Degas aurait présenté son œuvre au Salon de 1867 car on sait qu’à cette date-là, il y présenta deux portraits de famille. Cependant il n’aurait jamais pu prendre le risque de faire scandale car il ne respectait pas certains critères du portrait.

  • Ils ne posent pas
  • Giulia est agitée
  • Seule Giovanna regarde le spectateur
  • Le baron : de dos, abandonné dans son fauteuil
  • Sens de l’authentique

La composition de l’œuvre est témoin de l’évolution de la frontière des genres et des sous-genres -  portrait de groupe et portrait de famille.

Cependant il y était très attaché car en 1870, il dut vendre ses tableaux pour rembourser les dettes de son père et pourtant garda celui-ci dans son atelier jusqu’à la fin de sa vie. (Il n’a pas cherché à le vendre, pas de commanditaire).

Il le considère comme son plus émouvant portrait de famille ; il faut ajouter que ses portraits restaient du domaine privé.

 

Il faut avouer que l'oeuvre n'est pas compréhensible par un public ignorant de l'histoire dramatique de la famille. Seul Edgar lui-même pouvait en comprendre et en saisir tout le sens, et peut-être sa tante aussi.

 

Conclusion

Cette oeuvre singulière d'Edgar Degas est à la fois un portrait et un pan de sa vie personnelle. Très attaché à ce tableau, il ne s'en sépara jamais puisqu'on l'a retrouvé dans son atelier après sa mort.

Biographie

BADE P., Degas, Paris, Hazan, 1994

DEGAS E., Lettres, Paris, éd. Marcel Guérin, 1945

GAVIOLI V. (dir.), Degas, sa vie, son art, les chefs d’œuvres, Les Classiques de l’art, Paris, Flammarion, 2005

HÜTTINGER E., Degas, Paris, Flammarion, 1976

OFMAN N., Degas, Paris, Hazan, 2007

Date de dernière mise à jour : 08/01/2016

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